Pédagogie à l’université : encore un effort !
C’est ce qu’on appelle un signal faible. Quelques mots dans un texte officiel qui laissent entrevoir un changement majeur dans le monde universitaire : désormais, tous les enseignants-chercheurs doivent être formés à la pédagogie. Une évidence ? Ce devrait l’être. Mais, aussi étonnant que cela puisse paraître, ce n’était pas nécessairement le cas avant, alors même que le nom, et le statut des enseignants-chercheurs, font explicitement référence à « une double mission d’enseignement et de recherche » et que leur temps de travail est censé se diviser en deux parts équivalentes.
Paru au Journal officiel, un décret du 9 mai 2017 dispose que dans la première année suivant leur nomination, les maîtres de conférences « bénéficient, au cours de cette période de stage, d’une formation visant l’approfondissement des compétences pédagogiques nécessaires à l’exercice du métier ». En contrepartie, ils se verront déchargés d’une partie de leur service d’enseignement, équivalent à une trentaine d’heures de cours. En outre, les maîtres de conférences pourront demander – de manière facultative, cette fois – à poursuivre leur formation, dans les cinq années suivant leur titularisation. Une manière de reconnaître qu’il ne suffit pas de maîtriser la subtilité du vocabulaire de Kant ou des lois de la mécanique quantique pour enseigner à l’université.
Ce texte met en lumière une évolution des mentalités qui atteint le plus haut niveau de l’Etat, après avoir progressé sur le terrain depuis plusieurs années. La transformation numérique aidant, de plus en plus d’universités proposent en effet des formations dans leurs centres de pédagogie universitaire, tandis que d’autres, comme celles de Franche-Comté ou de Bordeaux, ont intégré des critères liés à la pédagogie dans le processus de recrutement des maîtres de conférences.
« Un cours magistral doit être entendu comme un enseignement théorique exclusif de toute participation des étudiants » (TA Lyon, 9 mars 2016)
Conservatismes
Cependant, beaucoup reste à faire pour que l’investissement dans des actions pédagogiques soit pris en compte dans la carrière des enseignants-chercheurs au même niveau que la recherche. Or, la plupart des sections du CNU (Conseil national des universités) se montrent encore très conservatrices sur le sujet.
Plus profondément, c’est la conception même de ce qu’est la pédagogie qui doit largement évoluer dans toute notre société. En témoigne cette décision émanant du tribunal administratif de Lyon, il y a un an : autour de la question de savoir si des cours magistraux peuvent ou non être requalifiés en travaux dirigés, le texte indique qu’« un cours magistral se distingue d’un TD par l’absence de toute interaction entre l’enseignant et les étudiants ». Mieux (ou pire) : « un cours magistral doit être entendu comme un enseignement théorique donné sous la forme d’un cours didactique exclusif de toute participation des étudiants ». Pour le moins restrictive, cette définition en dit long sur la méconnaissance de la réalité de l’enseignement supérieur, à rebours de toutes les pédagogies actives qui se déploient aujourd’hui à l’université, en TD mais aussi en amphi.
19 Responses
Grosse grosse blague. Il y a tellement peu de postes que les comités de sélection ne regardent absolument pas l’expérience d’enseignement (de toutes façons, du moins en sciences, la plupart des gens ont l’agrègation). Comment se permettre de mettre en avant l’enseignement quand on a derrière la pression des organismes de notation pour publier toujours plus ?
Le monde est bien fait : non seulement l’interaction avec les étudiants améliore la qualité de l’enseignement, mais en plus elle permet de réduire les coûts en requalifiant les cours en TD.
Peut être faudrait-il inverser : débiter un cours magistral sans interaction, fut-ce devant 400 personnes, est un effort moindre que faire un cours intégré, où il faut être capable de réagir aux interventions/interrogations des étudiants.
Bonjour,
Quelques remarques.
Visiblement, l’auteure de l’article n’a pas mis les pieds dans une université depuis bien longtemps. En effet, les universitaires n’ont pas attendu ce décret pour réfléchir à de nouvelles pratiques pédagogiques et faire évoluer les
CM et les TD! Et les MCF qui arrivent sont de plus en plus expérimentés, ayant enchainé des postes d’ATER, des postdocs à l’étranger avec souvent des charges d’enseignement, …
Le débat prise en compte de l’investissement pédagogiques vs recherche dans, notamment, les promotions lui continuera. L’investissement pédagogique est bien sûr pris en compte. Pas assez selon certains. Mais ceux-là n’ont presque plus d’activité de recherche… Un investissement pédagogique important peut-il compenser l’activité de recherche? Non bien sûr (rien n’est plus dur que de maintenir une recherche de haut niveau dans le temps).
Dans ma discipline (les mathématiques), rares sont les excellents chercheurs mauvais enseignants (la réciproque n’étant pas vraie). Pour autant, pour avancer dans la carrière, un mauvais enseignant devra être un sacré bon chercheur… Mon expérience est que les mauvais enseignants sont de piètres chercheurs, recrutés à une époque (assez lointaine) où le recrutement était bien plus “facile”. Je ne peux bien sur pas généraliser à d’autres disciplines, bien que, lorsque j’entends mes enfants parler de leurs cours, ils me disent à quel point les cours donnés par des chercheurs de haut niveau sont passionnants.
Cordialement
ça serait effectivement une bonne chose. Certains maitres de conférence atteignent le niveau zéro de la transmission de savoir, quand d’autres s’en foutent royalement et lisent des bouquins en guise de cours.
Le problème c’est que ça concerne aussi les chargés de TD, qui la plupart du temps sont jetés dans le bain sans aucune méthodologie, et doivent apprendre seuls à faire cours et à noter. C’est dur de trouver une cohérence pédagogique là dedans et c’est malheureusement une question qui n’intéresse pas les universitaires, pour qui faire cours devient (pour quelques uns) une plaie pourtant bien rémunérée
Il y a, en effet, un gros problème que l’on a ignoré trop longtemps à l’université. Certains de mes professeurs parlaient pendant 2h, sans interruption, sur un ton monocorde le tout en regardant leurs pieds. Je me suis toujours demandé comment des profs de fac pouvaient enseigner sans avoir la moindre idée de la façon dont un savoir s’acquiert et se transmet, de la nécessité de varier les points de vue et les exercices pour favoriser l’interaction et la mémorisation ou encore du bénéfice du travail groupe et de la dynamique de groupe. Comme si ils ‘savaient’ d’instinct ce que d’autres doivent apprendre dans des livres (bien faits pour la plupart et constamment mis à jour). Cela ne suffit pas de maitriser son sujet. Je pense par ailleurs que les profs de fac gagneraient à enseigner au lycée, voire au collège, quelques années avant d’entamer une carrière universitaire.
L’avis des juges restitue assez bien la réalité vécue par les étudiants en droit, qui n’a jamais manifesté de volonté progressiste sur le plan pédagogique. En ce sens, il y a sans doute un biais culturel dans cette définition du cours magistral… Hormis cela, on voit bien que l’enseignement n’est pas ce qui est le plus couru chez beaucoup d’ enseignants chercheurs.
Houlala, il va falloir déprivatiser les universités.
L’un des inventeurs de la ligne pédagogique des doctorants de France et qui reste la plus avancée au monde dans sa qualité scientifique disait ceci : “il vaut mieux une absence de pédagogie qu’une mauvaise pédagogie car le cerveau à ce niveau est sensible à la casse et touche la personnalité même du candidat aux hautes études universitaires”.
En gros, on ne fait pas ce qu’on veut avec le cerveau, et les lignes pédagologiques doivent validées par un expert. Ce n’est parce q la licence n’a pas de ligne pédagologique enterrinée, qu’on a le droit d’en forger une.
On sait qu’une ligne pédagogique mal utilisée va endommager pour des années le cerveau de l’étudiant. De plus, seuls certains étudiants bénéficient de la ligne pédagogique pendant que d’autres vont être repoussés par elle, alors que la matière plus haut est adaptée à leur caractère.
Si on laisse des espaces libres, ce n’est pas par ignorance, mais par besoin de liberté de la nature.
Il y a des exceptions à tout, la règle générale doit être annoncée avant les exceptions afin d’éviter un effet de propagation des mauvaises pratiques qui sont autorisées pour la marge pour leur vertu “d’exception à la règle” et n’ont pas vocation à être généralisées sur le terrain.
Marianne
Et en français, ça donne quoi ?
On ne peut que se réjouir de cette nouvelle orientation. Depuis des décennies, dans les universités, mais aussi les grandes écoles, si le niveau scientifique est excellent, la capacité à partager des connaissances est très inégale. Malheureusement, être une pointure dans une discipline ne signifie pas automatiquement que l’on sait enseigner, partager, discuter, intéresser ses étudiants. Certains profs ont le feeling, d’autres pas, une formation pédagogique sera donc bienvenue. On pourrait juste se demander pourquoi il a fallu attendre autant de temps… mais ne boudons pas notre plaisir. Si on pouvait ensuite y adjoindre un peu de capacité à communiquer en anglais avec les étudiants étrangers pour rendre notre système plus attractif au plan international, ce serait Byzance.
Attention ! Il ne faudrait surtout pas de formation pédagogique comme dans les ESPE, dont les cours sont complètement déconnectés de la réalité.
il faudrait aussi penser à passer à 40h d’enseignement contre 128/196, et doubler les salaires. Et instaurer la sélection à l’entrée. Si on veut une Université qui a le niveau, il faut prendre en compte tous les paramètres.
C’es oublier que les nouveaux maîtres de conférences ont de nombreuses années d’enseignement derrière eux, comme doctorants, ATER, chargé d’enseignement sous des statuts divers, jusqu’à 8 ou 10 ans. D’autant que les universités profitent de leur autonomie pour multiplier les statuts de contractuel type LRU, payé à coup de fronde (moins de 900 euros pour un service d’enseignement identique à un maître de conférences !)
C’est surtout ce que l’on appelle du foutage de gueule. Dans les filières sérieuses, cela fait belle lurette que l’enseignement – fut-il dispensé par des néophytes – est raisonnablement adapté aux exigences d’une formation correcte et à un public sérieux. Mais tant que l’on ne sélectionnera pas les étudiants, ce sera aussi efficace que de pisser dans un violon.
La formation à la pédagogie devrait consister en l’observation des cours des enseignants-chercheurs en exercice et dans l’interaction avec ceux-ci. Cela permettrait aux nouveaux recrutés de voir comment faire passer les notions. Il ne faut pas imposer des cours sur les dernières théories fumeuses à la mode dans le monde des “sciences” de l’éducation.
De toutes façons, le problème principal de l’université n’est pas dans la pédagogie. Le cours magistral fait par un enseignant qui maîtrise son sujet fonctionne très bien…. quand le public est adapté. Actuellement, le public des universités a un niveau beaucoup trop bas.
La prise en compte de l’enseignement pour les promotions bute sur le problème suivant: comment évaluer la qualité de l’enseignement ? Donc, en pratique, on voit la dérive suivante : un “bon” enseignant, selon l’évaluation, est celui qui prend la responsabilité d’années, de filières, voire qui peut faire valoir une “innovation pédagogique” quelle que soit son efficacité. Tout ceci est peut être utile mais pas signifiant en termes de qualité d’enseignement.
Et côté promotion, ça fait quand même une sacrée différence entre la recherche (évaluée au meilleure niveau international), la pédagogie (évaluée au doigt mouillé, voir aux dernières lubbies iufm-esques), et l’administratif (évalué au copinage et/ou à la servilité). On a déjà vu ce que donnait le “la pédagogie avant les compétences disciplinaires” au lycée. Mais il reste manifestement des choses à casser. (vous me direz : l’université ne fonctionne déjà pas : c’est vrai, mais les élèves n’y ont pas le niveau, et les moyens sont absents. Ca fait beaucoup de problèmes quand même)
S’inquiéter de la qualité de l’enseignement, quand on trouve acceptable de tirer au sort les étudiants… c’est tout bonnement grotesque.
L’auteur de cet article décrit la caricature grosso modo de l’université d’avant 1968. Il y a des décennies que la pédagogie est au centre des préoccupations des universitaires. Le seul point est qu’elle n’est pas prise en compte dans la carrière des EC et ne le sera pas plus demain. Nous sommes évalués sur la recherche par des biais mesurables, bien que au combien discutables. Il est quasiment impossible d’évaluer la pédagogie à l’université, (à moins d’instaurer un système de commissaires politiques, que nous avons déjà en partie côté recherche), expérience d’un EC de plus de vingt ans d’ancienneté.
“La pédagogie n’est pas autre chose que la réflexion appliquée aussi méthodiquement que possible aux choses de l’éducation. Comment donc est-il possible qu’il y ait un mode quelconque de l’activité humaine qui puisse se passer de réflexion ? Aujourd’hui, il n’y a pas de sphère de l’action où la science, la théorie c’est-à-dire la réflexion ne vienne de plus en plus pénétrer la pratique et l’éclairer. Pourquoi l’activité de l’éducation ferait-elle exception ?” Dukheim, 1904, L’évolution pédagogique en France.
Il me semble que nombre de mes collègues ont perdu leurs réflexes de chercheurs… pour se laisser déborder par leurs impressions !
Certes, les questions à traiter sont nombreuses (sélection ?, reconnaissance ?, évaluation de la qualité ?, …), mais il est désormais prouvé que la prise en compte de quelques éléments “basiques” favorisent la qualité des apprentissages des étudiants (interactions, clarté des objectifs, posture positive -et respectueuse…-, etc.)
Il se trouve que nombre d’entre elles sont déjà mises en œuvre, et c’est tant mieux. Cependant, comme toujours, des progrès restent à accomplir : développer le travail d’équipes pédagogiques, travailler sur la cohérence entre les objectifs, les methodes d’enseignement et l’évaluation (Biggs, 1979), travailler aux finalités de l’enseignement…
Que voulons-nous ? Est-ce une excellence pour un petit nombre ou une excellence à la fois sociale et sociétale ? (De Ketele et al. 2016, Quelle excellence pour l’enseignement supérieur ?).
Il me semble alors que l’on peut commencer par des choses aussi simples que cette formation.
J’en félicite ses promoteurs et les en remercie !