L’amphi, c’est fini ?

L’amphi, c’est fini ?

Cours dans l'amphi Richelieu © Olivier Jacquet / université Paris-Sorbonne

Cours dans l’amphi Richelieu © Olivier Jacquet / université Paris-Sorbonne

« Demain, on apprendra tout de chez soi, sur son ordinateur » ; « Le big data va permettre de personnaliser l’enseignement et rendre inutiles les cours collectifs »… Enchantées ou effrayées par les progrès technologiques, des voix se font régulièrement entendre pour annoncer que les amphis vont disparaître des écoles et universités. Voire.

Certes, les campus changent, les manières d’apprendre évoluent. Le numérique a jeté un pavé dans la mare de l’enseignement supérieur et c’est l’objet de ce blog que de suivre les ondes du changement, d’en analyser les multiples résonances. Cependant, sur les quelque 2,5 millions d’étudiants qui font leur rentrée cette année, la plupart se couleront dans la tradition des cours en amphi. Ce qui n’est pas forcément un mal.

L’amphi, tout un symbole

D’abord, parce que pour nombre d’étudiants, surtout ceux qui arrivent à l’université, l’amphi est l’un de ces signes qui disent aux bacheliers que, ça y est, ils ont bel et bien quitté le lycée. Finies les salles de classe à trente, bienvenue dans le monde étudiant ! Voilà ce que murmurent les gradins aux nouveaux venus, qui se retrouvent cependant face à problème très concret : celui des effectifs trop nombreux, régulièrement dénoncée à coups de communiqués des syndicats et de photos, comme celles rassemblées l’an dernier dans le tumblr « Ma salle de cours va craquer ». Si pour certains, les amphis bondés font partie du folklore universitaire, les étudiants concernés, eux, s’en passeraient volontiers.

Au-delà de ce problème matériel, et politique, les amphis conservent une dimension identitaire forte dans les établissements. Que serait La Sorbonne sans son majestueux amphi Richelieu ? Sciences po sans son mythique amphi Boutmy, du nom du fondateur de l’Institut d’études politiques ? A Nanterre, le célèbre amphi A conserve un parfum révolutionnaire, lui qui servit de tribune à Daniel Cohn-Bendit en mai 68. Quant au Grand amphithéâtre de l’université Lumière Lyon 2, il est parsemé de palmes, lauriers et flambeaux, ainsi que des noms de 21 savants qui rappellent la vocation scientifique de cette salle construite à la fin du 19e siècle.

Outre ces lieux chargés d’histoire, de nouveaux amphis continuent à sortir de terre : l’université du Mirail à Toulouse en a ouvert deux au printemps 2016, quand la Réunion a inauguré il y a deux ans le premier amphithéâtre bioclimatique, isolé et ventilé pour permettre de travailler dans de bonnes conditions malgré les températures tropicales. De nouvelles constructions qui s’ajoutent aux multiples rénovations, de Marseille à Angers, et montrent que ces salles de cours étagées font partie du patrimoine universitaire.

Non, amphi n’est pas synonyme d’ennui

Pendant longtemps, l’amphi a été synonyme de cours magistral. C’est encore largement vrai. Cependant, le numérique a bousculé les pratiques. L’un des outils phares à cet égard est le boîtier de vote électronique, qui s’est largement popularisé dans les écoles et universités ces dernières années. Grâce à ce dispositif, l’enseignant peut poser des questions aux 300 étudiants assis face à lui, pour s’assurer qu’un point du cours est bien compris mais aussi pour piquer leur curiosité, en leur demandant par exemple de formuler une hypothèse qu’il s’agira de vérifier par la suite. Quelle réaction chimique va-t-on obtenir si l’on mélange tel et tel produits ? Quelle problématique vous semble la plus pertinente pour analyser cet extrait de roman ? Et les étudiants de s’amuser à cliquer.

Ce faisant, ils s’animent et participent au lieu de se contenter d’écouter le professeur. Et aux dires des étudiants comme des enseignants, cela fonctionne, d’autant que l’aspect gadget du boîtier apporte une dimension ludique appréciée des « digital natives ».

Cependant, la technologie n’est pas indispensable pour dynamiser un amphi, et les enseignants ne manquent pas d’idées. Certains n’hésitent pas à utiliser de bons vieux cartons de couleur à la place des clickers, quand d’autres brisent le face à face de l’amphi en faisant travailler les étudiants en petits groupes. A Nantes, une enseignante raconte qu’elle fait parfois circuler un paquet de M&M’s dans les rangs pour former les groupes : les étudiants se rassemblent en fonction de la couleur piochée ! Une manière d’apporter de la bonne humeur, et un peu d’énergie.

L’amphi toujours d’actualité

Pour autant, malgré ces expériences concluantes d’un point de vue pédagogique, pas question d’abandonner tout cours magistral, au nom du diktat de l’innovation. Certains enseignants, dotés d’un charisme qui leur est propre, sont en effet bien meilleurs quand ils dispensent leur cours depuis l’estrade que si on leur demandait d’animer des ateliers de créativité… Et réciproquement.

Chaque pédagogie requiert des qualités spécifiques, liées à l’expérience mais aussi à la personnalité des enseignants. Bien sûr, ceux-ci peuvent se former et les services de pédagogie qui fleurissent dans les écoles et universités sont là pour accompagner ceux qui désirent faire évoluer leurs pratiques. Nul besoin pour eux d’écorner la liberté pédagogique, qui reste le socle du métier d’enseignant. Loin de pouvoir être imposées, les innovations se propagent par le bouche à oreille. Il suffit d’expliquer ou, mieux, de montrer que d’autres manières de faire cours sont possibles. Y compris en amphi.

 

23 Responses

  1. sam says:

    “La place de l’amphi… est dans un musée.”

    Aujourd’hui… ce lieu est devenu tout bonnement anachronique

  2. LeClos says:

    Je ne comprends pas bien en quoi l’arrivée de l’ordinateur ferait davantage qu’autrefois que les étudiants peuvent apprendre depuis chez eux. Il y a toujours été possible d’apprendre chez soi, dans des livres. Le fait que désormais l’on puisse lire aussi sur un écran ne change fondamentalement rien à l’affaire. On aurait accès à davantage de choses ? C’est discutable ; les bibliothèques ont toujours existé (avec l’ambiance studieuse qui va avec). Et l’essentiel, à la fac, n’est pas qu’on parte dans tous les sens et dans le superficiel (internet) mais plutôt que les bases soient bien assimilées ; et c’est déjà très difficile. Les étudiants pourraient, depuis chez eux, s’adresser à l’enseignant et inversement ? C’est de la blague ; par hypothèse le public susceptible d’être réuni dans un amphi compte normalement entre 150 et 500 étudiants ; il ne peut y avoir de prise en charge individuelle de ce type par celui qui est chargé du cours (je ne parle pas des TD / TP). Précisément, l’amphi permet la prise en charge collective, plus nécessaire que jamais à l’heure où l’on envoie des masses de gens à l’Université (90% de réussite au bac !) (il est tout à fait improbable que ce soient tous des fichus génies qui, quoique isolés, pourraient assimiler tout tranquille depuis chez eux).

    • Olivier says:

      Vous avez totalement raison, mais les exaltés du changement ont besoin d’écrire en continu le même genre d’articles, à peu près déconnectés de toute réalité (la partie sur les services de pédagogie qui fleurissent dans les écoles et universités restant assez hors concours, à un moment donné il faut sortir des services de com et aller voir lesdits services de pédagogie)
      Il faut noter par ailleurs que le nombre d’étudiants augmente et que le nombre de recrutement diminue. Tous les départs à la retraite ne sont pas compensés, certaines universités diminuent drastiquement le nombre de TD . Donc l’amphi a de très beaux jours devant lui, avant tout parce qu’il est économique et que l’université française n’a pas un rond.

    • Mélodie says:

      En fait il s’agit implicitement de dire qu’on pourrait réduire la place de l’enseignement en amphi par celle en vidéo que l’on peut faire chez soi. Ca existe déjà dans les filières surchargées type première année de médecine. C’est très dur de suivre, il faut être très motivé, très autonome. Par contre ça ne réduit pas la qualité de l’enseignement. Après l’université propose des TD/TP en petits groupes pour vérifier l’acquisition des compétences. Pour l’avoir expérimenté j’ai bien aimé pour passer un concours car ça facilite l’apprentissage de masse mais j’ai aussi bien aimé retourner à l’amphi, voir aux salles de classes, suite à la sélection. La vidéo n’est qu’une solution palliative à l’absence de sélection à l’entrée de l’université mais ça marche, et oui ça fait disparaitre les amphi.

    • defisdamphi says:

      Bien sûr, il a toujours été possible de travailler de chez soi, mais avec le numérique a permis le développement de la formation en ligne, de manière plus interactive que ne l’était l’apprentissage en bibliothèque, puisque des échanges avec l’enseignant mais aussi les autres étudiants sont désormais possibles, parfois en direct, par le biais des forums ou chats.

  3. Gilbert Bereziat says:

    Dans certains cas la suppression des cours est une bonne chose. Je pense à ces amphithéâtres pléthoriques de la première année de médecine où les redoublants faisaient la guerre aux primants. Et où les professeurs n’avient pas le droit de répondre aux questions des étudiants pour respecter une stricte et hypocrite égalité.
    GB
    Président honoraire de l’UPMC

  4. E says:

    J’enseigne dans deux universités depuis plus de 15 ans. Il m’est effectivement déjà arrivé de me demander si enregistrer mon cours, en faire un film interactif, ne serait pas une bonne solution. Principalement parce que je trouve qu’en 15 ans le niveau d’interactions avec les étudiants à fortement chuté. J’ai de plus en plus l’impression d ‘être devant un banc de moule qui ne se réveille que quand on parle d’examen. La première question qui m’est posée en début d’année concerne d’ailleurs souvent les modalités d’examen et non la matière …
    Néanmoins, après réflexion, j’en suis venu à l’idée que mettre sur film les cours constituait un gros risque de standardisation.
    D’une part parce que rechanger un cours enregistré chaque année est un gros travail. On réduit donc l’actualisation en figeant le cours. Et d’autre part parce qu’il me parait vraisemblable que les universités auront tendance à quasi toutes dispenser le même cours une fois ceux-ci disponibles sous format enregistré. En effet, si une personnalité reconnue (mondialement) dans un domaine met un cours en ligne, pourquoi ne pas donner ce cours plutôt que celui d’un inconnu, peut être piètre orateur …
    Il y a donc selon moi un risque de perte de diversité important dans l’enseignement. Or, c’est la variété des cours qui fait la variété des étudiants et qui crée une certaine dynamique d’innovation dans un domaine. Si tout le monde voit les choses sous le même prisme, il n’y a finalement aucun échange constructif possible.

    • Olivier says:

      La première année est une catastrophe intégrale, mais ensuite les interactions existent.
      Sinon, je suis d’accord avec vous. Quitte à diffuser une vidéo, autant prendre les meilleurs mondiaux.

  5. N. says:

    Pas d’accord
    Oui l’amphi est trop souvent synonyme d’ennui, voire d’absentéisme. De nombreuses facs (et surtout les IUT) abandonnent les cours en amphis jugés trop impersonnels pour se concentrer sur les travaux en groupes. Dans mon IUT le taux de réussite est passé de 75% à 87% depuis la suppression des cours magistraux!

    • dorsenne says:

      Vous êtes trop fort. Et vous avez vu, dans les lycées ils parviennent à faire réussir 89,9% des gens ! Ils sont encore plus forts que vous ! Je me demande s’ils n’ont pas carrément supprimé les cours.

  6. cheval says:

    Et l’amphi est le lieu où croiser les autres et leurs diversités. Ce qui permet de choisir “son camp”: celui de ceux qui arrivent en retard et peuvent s’échapper quand ils veulent ( en haut de l’amphi ) , ceux qui écoutent et la majorité (bas de l’amphi ) qui écoutent, cherchent à comprendre et prennent des notes. C’est aussi une première confrontation au choix de vie.
    Je suis conscient de faire un raccourci.

  7. Patrick DESAUNAY says:

    Bonjour,
    Mes cours de pédagogie (andragogie pour les puristes) m’ont enseigné de tenter de ne pas rester plus de 20 à 30 minutes sur le même mode (magistral, interactif, jeu ou exercice) si je voulais maintenir l’attention.
    En formation continue, avec des gens concernés, ça me semble effectivement une limite.
    Alors, tenir 1H30 ou 2 heures des étudiants en formation initiale se faisant asséner une matière plus ou moins subie… Ca me semble du sadisme pour le prof et son auditoire.
    Maintenant que l’on connait un peu mieux le cerveau et son fonctionnement, il est temps de réagir. Les boitiers interactifs ( à l’image de ce que l’on fait en enseignement primaire aux USA depuis des lustres…) me semblent une bonne piste.
    Pouvoir bouger les tables et/ou favoriser le travail en petits groupes aussi.

  8. rudolf bkouche says:

    Lorsqu’on parle de cours en amphi, il faut distinguer l’amphi de cinquante ou soixante et l’amphi de plus de trois cents. Sinon, on ne sait pas de quoi on parle. J’ai connu les deux situations, d’abord comme étudiant ensuit comme professeur et je sais la différence.
    Le cours personnalisé, j’ai aussi connu, avec un bon livre. Et on sait qu’apprendre demande des temps de solitude, avec un bon livre, et des temps collectif, cours magistral, TD, et travaux entre copains.
    Pour le reste on peut fantasmer !!!

  9. Campupianu says:

    J’ai un argument de taille en faveur du maintien des amphis : s’ils n’existaient pas je n’aurais certainement pas eu la moitié de mes relations sexuelles, et je n’aurais pas pu rencontrer des personnes qui comptent fortement aujourd’hui dans mes relations personnelles et professionnelles, je n’aurais pas pu interagir avec de grands professeurs (de droit en ce qui me concerne).

    En résumé j’aurais été une larve débectante, bonne à rien pour moi même et inutile pour les autres.

    Bordel notre société n’a-t-elle pas suffisamment créé d’individus abrutis confinant à l’autisme, communiquant par hashtags (saviez-vous que le mot “dièse” existe dans la langue française ?) et dont le séant est littéralement vissé à une chaise d’ordinateur ? Devons nous utilement réfléchir à accentuer davantage cette dépravation de l’être humain, terrible maux de notre siècle ?

    • dorsenne says:

      Même chose. C’est en amphi que j’ai eu la plupart de mes relations sexuelles.

      Et je ne parle pas seulement des orgasmes procurés par la qualité des cours de mes (très grands aussi) professeurs (de droit) strasbourgeois.

      Blague à part, je suis tout à fait d’accord avec vous.

      • Simon says:

        C’est drôle, moi généralement en amphi, les élèves suivaient le cours, dormaient ou jouaient mais les bavardages n’étaient pas aux beaux fixes.

  10. Frédéric says:

    La fin de l’amphi? Je n’ai pas cette impression. Le “meilleur” exemple vient peut-être du Palais de la découverte avec les expériences d’électrostatique faites devant un amphi. Avoir vu ce genre de choses en vrai, et pas devant son ordinateur ou en salle de TD, c’est autre chose. Cela vient peut-être de la fin du 19ème, début du 20ème, où il n’y avait pas tant de matériel et de moyens comme aujourd’hui, et où les expériences en amphi remplaçaient les TP d’aujourd’hui.

    Finalement, aujourd’hui, l’amphi est surtout un lieu de cours qui ressemblent à des conférences, plus qu’autre chose. En droit, en lettres c’est évident. Le boulot sérieux se fait surtout en TD et en TP pour les sciences. Des collègues disent que l’amphi peut servir de lieu où le prof interagit avec les étudiants dans une séance de questions-réponses, mais finalement c’est ce qu’on fait, ou doit faire, en TD.

    Quant aux enseignements en petit groupe, je me rends compte que ça ne marche bien que lorsqu’il y a un noyau moteur dans le groupe. Sinon, c’est mortel. Les étudiants viennent là juste pour recopier la solution et on a vraiment l’impression de ne servir à rien. Atroce…

    On a l’impression, actuellement, d’être dans un système sans tête. Tout le monde arrive à la fac, mais pour faire quoi et en sortir comment, ça c’est le mystère le plus total et personne ne semble s’en soucier. Finalement ça ressemble à l’allumeur de réverbères dans le ciel, du Petit prince. C’est la consigne…

    Et n’oublions pas que c’est sur les bancs de l’amphi que se nouent bien des idylles. Alors, supprimer l’amphi?

  11. anais049 says:

    plus on avance dans le temps, plus les gens deviennent idiots c:

    • LeClos says:

      Ne dites pas les choses comme si les facs étaient responsables de ce qui leur arrive en termes d’image. Elles n’y sont pour rien, et se montrent au contraire très résiliantes malgré les avanies. Si des difficultés existent elles viennent de leur absence totale d’autonomie. Voilà une réforme que Sarkozy prétend aussi avoir faite. Mais en vérité les facs ne décident de rien, ni du régime des études, ni des modalités d’examen, ni bien sûr du montant des droits d’inscription, et surtout pas (surtout pas !) d’une éventuellement sélection à l’entrée. Dans ces conditions, difficile d’éviter des débats du genre “commente faire pour autant de monde et au mieux des intérêts de chacun ?”. J’ajoute que votre remarque est d’autant plus malvenue que, spécialement quand on monte dans les années, le contenu de l’enseignement fondamental à la fac est d’une qualité que bien des établissements “sélectifs” ne peuvent évidemment atteindre.

  12. Alain LE COMTE says:

    En 1ére année de licence (L1) de Maths-Physique à l’Université Rennes 1, voilà près de VINGT ans que le cours MAGISTRAL ne SE FAIT PLUS en amphis mais dans de petites salles de classe !!

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