Utiliser le théâtre pour réfléchir à son métier

Utiliser le théâtre pour réfléchir à son métier

Découragée, une jeune enseignante se confie à sa collègue : « Je ne comprends pas. J’ai énormément travaillé mon cours. Il est clair, les slides de présentations sont nickel… Pendant tout le semestre, les étudiants étaient attentifs et avaient l’air de bien suivre. Pourtant, 60 % d’entre eux ont échoué à l’examen ! » En face d’elle, sa collègue se montre blasée : « Bah, c’est la sélection naturelle. Passés les trois premiers rangs, ils font autre chose. Ton cours est bien rôdé, que veux-tu faire de plus ? » Quelques instants plus tard, un élu étudiant frappe à la porte. « Nous avons reçu 32 plaintes parce qu’il y a eu trop d’échecs à votre examen, on va faire un recours. Les étudiants ne peuvent pas perdre leur semestre parce que l’évaluation ne correspond pas au contenu du cours… », avertit l’élu, accroissant le désarroi de l’enseignante concernée. L’échange est alors interrompu par une jeune femme : « Qu’en pensez-vous ? Que proposez-vous pour rendre le dialogue plus constructif ? », demande Antoinette Bouziane en interpellant le public.

En effet, il ne s’agit pas là d’une discussion réelle mais fictive, jouée dans un amphithéâtre universitaire. Responsable de Sapiens, le service d’accompagnement pédagogique de l’université Sorbonne Paris Cité, Antoinette Bouziane anime une séance de théâtre forum. Le principe ? Mettre en scène une situation pour réfléchir collectivement à une problématique bien réelle. Venue de la sphère politique, cette technique était utilisée au départ pour sensibiliser des personnes « opprimées » et les inciter à réagir. Aujourd’hui utilisée en entreprise, elle fait désormais ses premiers pas à l’université.

« Alors qu’il existe un vrai isolement de l’enseignant, ici, pour une fois, on se met ensemble pour réfléchir à notre pédagogie » (Laurent Vincent, Prag)

Réflexivité

Une quarantaine d’enseignants-chercheurs et de conseillers pédagogiques assistent à la séance dans le cadre du séminaire de rentrée organisé par Sapiens pour les faire réfléchir à leur pratique professionnelle. Plusieurs scénarios sont proposés : comment aider les étudiants à apprendre ? Mais aussi : comment animer son premier cours magistral quand on est un jeune maître de conférences et que jusqu’à présent on n’a enseigné qu’en travaux dirigés ? Ou encore : comment noter les travaux des étudiants ?

La scène initiale permet de faire émerger des propositions. Elle est ensuite rejouée plusieurs fois, par d’autres participants, qui intègrent les pistes avancées par les uns et les autres. « Au fur et à mesure, les rapports sont plus sereins, on est davantage dans l’analyse de l’échec sans remettre en cause la compétence de l’enseignante », observe Laurent Vincent, professeur agrégé de physique à l’IUT de Saint-Denis (université Paris 13). A l’intérieur d’un établissement, il y a toujours des jeux de pouvoir, des heures de cours à défendre, des choses qu’on ne peut pas dire…, explique-t-il. Alors qu’il existe un vrai isolement de l’enseignant, ici, pour une fois, on se met ensemble pour réfléchir à notre pédagogie ».

« Sortir les enseignants de leur isolement » : tel est bien l’un des objectifs d’un service comme Sapiens, explique son fondateur Huvert Javaux, qui se réjouit de voir combien « les participants se sont pris au jeu ». « Que j’ai été spectatrice ou actrice, je me suis vraiment projetée dans la situation, témoigne Véronique Dubois-Bouchet, ingénieure pédagogique à Sciences Po. Le fait que celle-ci soit incarnée a beaucoup plus d’impact que si l’on réfléchissait à froid sur un exemple sorti de son contexte. » « Parfois on a la solution mais tant qu’on ne l’a pas jouée, on ne la voit pas, complète Antoinette Bouziane.

D’autre part, le théâtre-forum vise à désamorcer par le jeu des situations potentiellement anxiogènes. « Cela permet d’anticiper et peut-être serai-je moins paniquée si ce qu’on a joué arrive en vrai car j’en aurais déjà fait l’expérience une fois », avance Véronique Dubois-Bouchet. Il faut parler de ce qui ne marche pas », insiste celle qui ambitionne de mettre en place un « fail camp », c’est-à-dire une rencontre consacrée à « décortiquer les échecs ». Courante notamment au Canada, cette pratique détonne quelque peu avec la culture universitaire française. Si elle le reconnaît aisément, l’ingénieure pédagogique reste déterminée : « je ne l’organiserai peut-être pas cette année, mais un jour, je vais le faire ».

17 Responses

  1. Stephane says:

    >Alors qu’il existe un vrai isolement de l’enseignant, ici, pour une fois, on se met ensemble pour réfléchir à notre pédagogie

    Je le dirais ici et ailleurs:

    Comment se fait t’il alors que les programmes soint nationaux, que chaque prof ait a faire sa préparation de cours dans son coin.
    Non il est faux de dire qu’il y a autant de groupes differents que de classe, et que chaque prof doit faire un cours different par classe (ce qui voudrait dire jeter chaque cours tous les ans et devoir les faire en ‘temps reel’ par classe vue qu’il est impossible de prevoir comment reagira celle ci, soit disant…

    Bref les préparations de cours individualise sont une des nombreuses aberrations de l’éducation nationale….

    De meme que les sujets de tests continus etc. Il devrait y avoir des pools sufisamment nombreux fait depuis le temps…

    Du gachis monumental de temps au detriment des enfants et de la qualite de vie des enseignants par ailleurs…

    Ils ne veulent pas de la standardisation alors que l’on est dans de l’education de masse, et pas dans le cours particulier. C’est totalement stupide.

    • Mathieu Kessler says:

      Reprendre le cours d’un autre qui a bien marché, c’est l’échec assuré.

      • Stephane says:

        bien sur Kessler bien sur…vous avez zero argument, comme d’habitude…
        C’est comme les pieces de theatres, certains acteurs (professeurs) sont juste trop mauvais…la pièce elle ne change pas.
        Et ca n’a rien a voir avec le public..

        • Mathieu Kessler says:

          Aucun argument ici, mais un constat, parce que chaque professeur débutant a tenté le coup au moins une fois dans sa carrière… et s’y est cassé les dents. Chaque leçon a besoin d’être interprétée par un professeur présent à son public, vous le reconnaissez vous-même ! Cette interprétation contient toutefois une part de réécriture, à la différence du théâtre.

          Par exemple, une séance dans un manuel ou une fiche glanée sur Internet est conçue pour durer 45 mn. Souvent, il faut prévoir deux ou trois séances pour atteindre l’objectif, parce qu’on s’aperçoit que ce qui était considéré comme “évident” ou doit durer 3 mn. n’est qu’un prérequis à consolider et dure au moins 20 mn. (enfin ça dépend des élèves), quand ça ne marche pas trop mal… quand on ne va pas au clash et au décrochage complet. On peut donc se planter complètement, même avec une “bonne” fiche si cela a un sens absolu (cad en l’absence d’élèves réels). En fait, le problème de l’école c’est la présence d’élèves, l’école fonctionnerait beaucoup mieux sans élèves avec seulement des professeurs enseignant à des classes vides ou à des poupées…

          Si un auteur de manuel devait réellement expliquer ce qu’il a fait avec ses élèves, chaque page ferait l’objet de longs commentaires et explications, comportant des exceptions à n’en plus finir. Cela ne serait pas utile, puisque toutes ces précisions décriraient un public particulier, une réception particulière qui n’est pas directement transférable. C’est pourquoi les fiches décrivant des séances ou des séquences d’enseignement demeurent des matériaux bruts, à retravailler chaque année par chaque professeur.

          • Stephane says:

            La seule evidence qui ressort de votre laïus toujours aussi a cote de la plaque que d’habitude, c’est qu’il n’y a pas de cours bien conçu disponibles pour les professeurs débutants.
            Merci de confirmer sans que vous vous en rendiez compte ce que je dis.

            Et les éleves subiront donc les mauvais cours de ces profs pendant des années le temps qu’ils progressent.

            Kessler, lui, restera donc toujours aussi nul tant qu’il ne comprendra pas la logique de base.

          • Stephane says:

            >Cela ne serait pas utile, puisque toutes ces précisions décriraient un public particulier, une réception particulière qui n’est pas directement transférable. C’est pourquoi les fiches décrivant des séances ou des séquences d’enseignement demeurent des matériaux bruts, à retravailler chaque année par chaque professeur.

            Et le professeur est évidemment devin pour savoir a quoi sa classe va ressembler l’année suivante (donc les préparations de cours pendant les grandes vacances sont de la fumisterie, c’est bien ce que vous dites….bwahahahahaha (et ce que je dis entre autre…mais bizarrement vous ne l’admettez pas quand je le dis moi)

            C’est la ou vous m’amusez toujours, vous donnez si facilement le bâton pour vous faire battre 🙂

          • Mathieu Kessler says:

            Il n’y a pas de cours assez bon pour pouvoir être dispensé par un automate ou même une personne peu qualifiée. Cela n’existe ni en France, ni ailleurs et ce n’est pas vous qui allez l’inventer.

          • Mathieu Kessler says:

            Les préparations que l’on peut faire pendant les vacances ne sont pas de même nature que celle qu’on fait pendant l’année pour s’adapter à sa classe.

            Manifestement, vous n’avez jamais enseigné et probablement pas exercé une profession complexe.

          • Stephane says:

            >Manifestement, vous n’avez jamais enseigné et probablement pas exercé une profession complexe.

            wep…ou pas. Mais contrairement à vous, je n’utilise pas d’argument d’autorité….car c’est de la rhétorique pour gamin de maternelle..
            Et votre boulot ne fait pas de vous quelqu’un de compétent non plus.

          • Mathieu Kessler says:

            Sans doute, mais j’ai argumenté à partir de mon expérience et vous à partir de l’idée que vous vous faites d’un métier que vous n’avez jamais exercé (pas seulement le métier de professeur, mais un métier complexe qu’il ait ou non un rapport avec l’enseignement).

          • Stephane says:

            >Sans doute, mais j’ai argumenté à partir de mon expérience

            Ce qui est a cote de la plaque, car justement, l’expérience individuelle ne vaut rien, c’est une simple anecdote.

            >que vous n’avez jamais exercé (pas seulement le métier de professeur, mais un métier complexe qu’il ait ou non un rapport avec l’enseignement).

            Vous n’en savez strictement…rien.

  2. mp.mac says:

    “32 plaintes parce qu’il y a eu trop d’échecs à votre examen” ! y a de quoi se pincer surtout qu’en effet et comme le dit très justement le collègue de cette enseignante “passer le 3ème rang ils font autre chose…” alors avoir recours à guignol pour sauver la situation ? La réalité est ailleurs…

    • Mathieu Kessler says:

      Ne pas oublier que l’évaluation la plus objective d’un enseignement, c’est l’évaluation des performances des étudiants au terme d’une séquence, donc 32 échecs, oui, c’est catastrophique. Cela va se produire avec certains professeurs, pas avec d’autres. D’où l’intérêt de ne pas se défausser de ses responsabilités sur le public (trop facile !). Dans quelle profession accepterait-on que de mauvaises performances soient exclusivement attribuées au contexte et nullement à l’insuffisance professionnelle ?

      Cela dit, je ne pense pas que la théâtralisation de cette situation présente un intérêt pédagogique. Mieux vaudrait réfléchir aux causes plutôt qu’aux conséquences (à la façon de communiquer en situation de crise). En effet, le plus utile, c’est de prévenir la crise, pas d’apprendre à gérer sa Com’ sans approfondir ce qui n’a pas fonctionné en amont. Cette situation de formation est séduisante, mais ne permet pas d’aller au fond des choses, mieux vaudrait mettre en place des analyses de pratiques professionnelles qui ne sont pas fondées sur des situations-types, mais réellement vécues par les stagiaires. Dans le théâtre, on n’évite pas le ridicule, donc le jugement, ce qui ne favorise pas l’émergence de témoignages authentiques et la conservation de l’estime de soi (si fragile chez les stagiaires). Enfin, c’est certainement très intéressant, mais je doute que ce soit une situation de formation optimale, en tous les cas adaptée à toutes les personnalités (notamment aux complexés qui risquent de vivre ces situations de formation en retrait ou humiliés).

  3. mp.mac says:

    Vous oublier juste que ce qui compte aussi en amont ce sont les critères des évaluations. Voir par exemple les + de 80% de réussite au bac, pas mal de problèmes viennent de là… Pour éviter ces 32 échecs, baisser les critères d’exigence, les étudiant(e)s seront tous bons et en plus vous aurez satisfait à ce que demande le système en place ! Elle est pas belle la vie ?

    • Mathieu Kessler says:

      Les professeurs de niveau “n” ont tendance à attribuer leurs échecs aux professeurs de niveau “n-x”, mais le problème se pose différemment.

      Au niveau “n”, pourquoi le groupe d’étudiants ayant suivi tel enseignant présente un taux d’échec supérieur aux groupes qui en ont suivi d’autres ?

  4. jivago says:

    Utiliser la professeure de théâtre pour apprendre son métier est effectivement dans l’air du temps. Quand la professeure abandonne son banquier de mari pour un élève doué d’un grand lycée privé lui permettant d’avoir de petits enfants par procuration et un pied à terre au Touquet, il est possible de s’intéresser aux potentialités de l’éducation artistique dont fait partie le théâtre en ce qui concerne la politique.

    La censure risque de ne pas laisser passer. Pourtant cette fiction de professeur donnant un cours dont les épreuves en fin de cycle donnent peu de reçus, ce qui fait naître une contestation envers l’enseignant, son cours et ses épreuves, m’a tout de suite fait penser aux inattendus de l’éducation théâtrale dans l’actualité récente.

    Oui, il y a une part de théâtre dans la politique. L’article d’un président qui s’intéresse à l’histoire et fait l’histoire ne m’a pas échappé. Je n’ai pas résisté à faire des commentaires. L’avènement de ce gentleman cambrioleur de la République de Charles et Michel, élu par le peuple souverain, avait toutes les ficelles d’un théâtral hold up. Quand Monsieur MELENCHON fait du théâtre pour déclamer sur le petit monarque, je n’ai pu m’empêcher de penser à Napoléon le petit de Victor Hugo.

    La vision du nouveau monarque Républicain semble claire avec un social libéralisme affirmé. Donner de la souplesse à l’échine du travailleur et le rendre plus corvéable, favoriser l’esprit d’entreprise, et enfin diminuer les charges sociales dont profitent les exclus d’un capitalisme accepté, semblent aller de soi. Laisser à la finance et aux banquiers la gestion de notre vivre ensemble ne semble pas inquiéter le théâtral souverain. Après tout en sortant de l’ENA et son parcours d’apprentissage fiscal, il a pantouflé dans une banque pour le plus grand bonheur de Nestlé faisant bénéficier ce groupe des dernières ficelles apprises.

    Oui, le théâtre politique est un art majeur. Les grecs ont permis les agoras, les jeux de l’Olympe, et organisé des tribunes pour les tragédies et comédies qui sont parfaites pour permettre le débat des assemblées et les transformer en arènes politiques. De ces débats potentiels pour organiser un vivre ensemble cohérent dans la cité, l’on peut attendre de grandes avancées comme dans les assemblées constituantes. Oui, l’art du théâtre à l’université et ailleurs est certainement à encourager. Ce d’autant plus avec l’exemple récent du monarque républicain et de son chien Nemo.

    Le théâtre à l’université et dans les grandes écoles sera-t-il promu par la nouvelle monarchie républicaine et ses barons?

  5. jivago says:

    J’ai attribué la déclamation sur le petit monarque à Monsieur Mélenchon, je dois faire amende honorable. Monsieur Pierre Laurent est le bon auteur de cette déclamation comme sur la cuisse maigre.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *