Et si l’ubérisation était aussi une chance pour l’université ?

Et si l’ubérisation était aussi une chance pour l’université ?

Les taxis, l’hôtellerie, le BTP… Peu à peu, l’ubérisation gagne tous les secteurs d’activité et avec elle grandit la peur d’une précarisation généralisée. L’éducation n’échappe pas à la règle, et l’on parle de plus en plus désormais d’une ubérisation de l’université. Le développement des plateformes d’enseignement en ligne et des start-up EdTech favorisent en effet l’accès à des connaissances de plus en plus nombreuses, librement, et même gratuitement, faisant planer le risque de disparition des intermédiaires que sont les universités et les grandes écoles.

Cette question a sous-tendu le colloque que la Conférence des grandes écoles a consacré à l’innovation pédagogique, le 18 mai 2017. « Cela fait 20 ans qu’on nous dit qu’on doit disparaître », relativise tout de même Henri Isaac, vice-président en charge du numérique à l’université Paris Dauphine. Plus largement, l’enseignant souligne que si les Mooc incarnent en partie cette menace, ils sont « auto-sélectifs étant donné le fort taux d’abandon » qui les caractérise. En effet, seuls 5 à 10 % des étudiants inscrits les suivent jusqu’au bout. Il est intéressant à ce propos de remarquer que ces cours massifs, gratuits et ouverts à tous, se heurtent au même problème que les universités où la sélection n’est (pour l’instant ?) pas de mise en première année, mais où beaucoup dénoncent une « sélection de fait » au vu des taux élevés d’échec en licence.

« Lost in transition »

Face à cette transformation profonde des modalités d’enseignement, les incertitudes sont nombreuses, d’où ce sentiment d’être « lost in transition », comme le dit Imma Tubella, présidente de l’université ouverte de Catalogne, établissement à distance créée en 1994. Les enseignants peuvent en effet être déstabilisés par les nouvelles pratiques qui ont émergé dans le sillage de la révolution numérique, comme c’est le cas par exemple de la classe inversée.

Ces interrogations transparaissent aussi à l’échelle des institutions, comme le confie Jean-François Fiorina, directeur adjoint de Grenoble Ecole de management, qui observe attentivement le développement de deux start-up EdTech : Coorpacademy, dans le domaine de la formation continue, et OpenClassrooms, cette plateforme de cours en ligne qui propose des titres reconnus au RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles) autour du numérique et des systèmes d’information.

« Tout se fait à distance, les cours sont suivis par plusieurs milliers de personnes, et les prix n’ont rien à voir avec ceux pratiqués dans les écoles de commerce », explique Jean-François Fiorina qui espère pouvoir nouer des collaborations avec la start-up. Moins qu’une disparition des écoles et universités, il semble que l’on se dirige davantage vers une hybridation de l’enseignement supérieur et de nombreux établissements réfléchissent aujourd’hui à la manière d’intégrer les nouveaux modèles venus du numérique.

« Oui, l’ubérisation a un effet positif, au sens où elle oblige les écoles et universités à se remettre en cause »

Quelle valeur ajoutée pour les écoles et universités ?

Alors oui, de manière certes un peu provocatrice, on peut dire que l’ubérisation a un effet positif, au sens où elle oblige les écoles et universités à se remettre en cause. Ce qui est d’autant plus bénéfique que, comme le rappelle Marc Partouche, directeur de l’Ensad (Ecole nationale supérieure des arts décoratifs), « aucun modèle pédagogique, aussi performant soit-il, ne dure ». D’où la question centrale de savoir quelle est la valeur ajoutée des écoles et universités. A défaut d’y apporter une réponse convaincante, celles-ci seront totalement ubérisées, c’est-à-dire qu’elles seront dépassées par les plateformes d’enseignement en ligne.

L’un des éléments de réflexion réside dans la notion d’expérience étudiante. Bien sûr, la pédagogie et les compétences académiques sont centrales mais, souligne Henri Isaac, « une école ou une université est plus que cela » au sens où elle accompagne des jeunes à un âge où ils acquièrent de la maturité et apprennent à devenir eux-mêmes. « Cela passe par du présentiel, du travail en groupe, des stages, de l’apprentissage et, d’une manière générale, par un accompagnement professionnel », détaille Henri Isaac pour qui « la socialisation sur le campus » est essentielle. « On prend aujourd’hui conscience qu’on n’apprend pas que dans la salle de cours, mais aussi en faisant des projets associatifs, sportifs ou festifs ». La toute récente reconnaissance des compétences associatives qui permettent désormais d’obtenir des crédits ECTS va dans ce sens. Ce qui fait dire à Henri Isaac que « ce qui se passe sur le campus a davantage de valeur que ce qui se passe sur Facebook ».

« La possibilité de trouver un mentor bienveillant, de monter un projet en équipe est plus faible sur le web », confirme François Taddéi, directeur du Centre de recherche interdisciplinaire à Paris. Et d’appeler à s’interroger « sur notre valeur ajoutée en tant qu’établissement mais aussi en tant qu’êtres humains : la machine ne sait pas tout faire. En particulier, elle ne sait pas définir la question du sens. Forme-t-on nos étudiants à définir ce qui a du sens pour eux ? », interroge le chercheur qui plaide, dans le rapport co-rédigé avec Catherine Becchetti-Bizot, pour une transformation de l’éducation mais aussi, au-delà, pour une transformation systémique « vers une société apprenante ».

8 Responses

  1. Nelisse says:

    L’uberisation n’a que peu de chances de toucher l université et les grandes écoles dans la mesure où a) la plupart des universités et des grandes ecoles en sciences dures sont des pôles de compétences qui enseignent des connaissances de pointes issues de grands instruments ou d’équipements pointus (comme des accélérateurs à particules, qui ne s’opèrent et ne se construisent pas tout seul), b) les travaux pratiques forment une grande part de l’enseignement sont difficilement dématérialisées dans le cas où, eux aussi, ils demandent l’utilisation d’équipements de haute technologies (comme des salles blanches ou simplement des appareils de caractérisation couteux, souvent ceux des laboratoires).

  2. Bravoalpha says:

    En Ecole d’ingénieur nous avions des séances nombreuses de travaux pratiques : mécaniques des fluides et des solides, électronique, robotique, …etc. Pas évident de maintenir les TP avec l’uberisation promise

  3. Eiffel says:

    L’ubérisation n’est pas la cause des changements en cours dans le supérieur mais plutôt sa conséquence. La contrainte principal qui pousse les composantes des universités à changer est essentiellement l’augmentation importante du nombre d’étudiants. Pour ne parler que des facultés scientifiques (non dérogatoires c’est à dire sans sélection à l’entrée), les effectifs augmentent de 5 à 10% par an depuis environ 5 ans. Dans le même temps, le nombre de salles disponibles et surtout le nombre d’enseignants-chercheurs n’ont as évolués. On se retrouve avec des groupes de TD a plus de 45 étudiants, des salles bondées (en début d’année) et des EC e sur service chronique. La tentation de se débarrasser d’heures de cours via le numérique est alors forte… Comme elle est entretenue par ceux pour qui le numérique est un marché, on voit se développer MOOC, SPOC et autres avatars numériques. Cette extension se fait parfois en dépit du bon sens, les enseignants-chercheurs étant bien souvent totalement ignorants des possibilités et limitations de ces moyens pédagogiques nouveaux.
    C’est dommage car effectivement, ces technologies employées à bon escient peuvent être très utiles pour travailler sur l’accès l’autonomie des étudiants,ce que permet trop peu l’enseignement ex cathedra. Être contraints d’y avoir recours pour gérer la massification et l’hétérogénéité des publics de licence pourrait effectivement être une chance pour les universités, à condition que ces changements soient faits les yeux grands ouverts.

  4. palimpseste says:

    Le terme “ubérisation” me semble complètement inapproprié: on n’est pas à une plateforme qui permettrait d’avoir une heure de cours avec un prof de fac en payant avec sa carte bleue.

    Une fois de plus, la faculté est très nombrilisme : les MOOC et les OpenClass ne sont pas forcément optimum pour des jeunes au sortir du lycée. Mais par contre, pour des personnes matures, expérimentés dans la vie et qui souhaitent prendre ou reprendre des études à 25, 40 ou 55 ans, l’Université ne propose quasiment rien de faisable (sauf la tradition des Arts & Métiers, réservée à des héros du cours du soir).

    Cette révolution s’est illustrée chez un ami de 56 ans. Il s’est mis seul à un MOOC de l’US Navy puis a passé son examen aux US durant un voyage de trois jours là-bas. Il a décroché un certificat de compétence dans le secteur du traitement des coques dans la marine. Il a complètement changé de carrière alors que tout le monde lui conseillait d’attendre la retraite. Investissement tout à fait compatible avec une vie de famille et un coût largement supportable.

    Pourra-t-on un jour accéder en “remote” à des équipements lourds et des calculateurs de haute performance pour des études en sciences dures ? Sans doute. Et si ça ne forme pas les chercheurs de demain, qui auront besoin d’intégrer un campus et de travailler fortement en équipe, on pourra apprendre bien des choses selon les besoins.

    Un exemple (qui n’a donc aucune vocation d’universalité) ?
    Ma copine, ex-infirmière, se passionne pour l’impression 3D. Bien qu’elle ait toujours pensé (et entendu à son sujet) être incapable de faire quelque chose de “technique”, elle démarre maintenant des études de mécanique et commence à toucher à Arduino. Elle ne fera pas un doctorat équivalent à ceux de Centrale ou Polytechnique, mais elle sur bientôt le niveau d’un technicien supérieur débutant, et pourra sans rougir briguer ensuite un niveau licence voire master sur la partie du programme qui lui est utile. Les spécialités d’AMDEC, de cinématique ou de résistance des matériaux viendront par la suite, quand elle en aura besoin.

    La faculté a toujours méprisé ceux qui n’y sont pas allé ou en sont sorti “par la fenêtre”. Elle ne s’occupe que de ses bons élèves et pas de tous ceux qui auraient pu l’être. Je trouve que cet article en l’expression en oubliant que la Faculté devrait s’intéresser à l’école de la deuxième chance !

    RiP !

  5. reconquete says:

    l’Ubérisation concernera peu les universités si elles apportent une vraie valeur ajoutée, pas un chargé de cours qui est payé au lance pierre. Par ailleurs le système universitaire perdurera si le pays peut continuer à emprunter pour entretenir une fonction publique sur-numéraire.

  6. Jean Aymare says:

    Je propose même d’ubériser la vie: on se place dans une matrice et on enlève les intermédiaires que sont les autres humains et non-humains. On aura une bonne “expérience de vivants”, qu’on pourra noter sur des échelles bien standardisées. Je suggère un colloque international pour réfléchir dans ce sens, et qui pourra générer pas mal de papiers, et faire s’agiter le microcosme des champions du Progrès avec un P majuscule…

  7. Bof Bof says:

    Juste une question: quid de l’enseignement critique, des questionnements réflexifs, de l’interrogation universitaire sur l’action humaine, du partage avec les étudiants d’une réflexion commune, lente par définition, etc. tout ça c’est has been, c’est ça… contre-productif et anti-progressiste. L’ubérisation va enfin permettre de libérer les universités de ces empêcheurs de tourner en rond, dont on ne voyait pas bien l’impact positif sur la croissance économique et actionnariale. On va libérer les forces vives du savoir grâce à l’ubérisation!

  8. uberyes says:

    L’université a ubérisé depuis longtemps ses enseignants. Optimisation des charges, en demandant à ce que les intervenants aient déjà un employeur principal pour éviter que les facs paient les charges sociales. On n’a pas à payer au chargé de cours, ses corrections de copie ou le temps de surveillance. Mais tout le monde est content comme à Uber : les facs car ils optimisent en fonction des besoins, et les précaires, car ils veulent bouffer quand même (sans dépasser les 2500-3000€ par an si on reste dans la loi), c’est mieux que le chômage comme on dit. On crée donc des auto-entrepreneurs qui n’ont comme seul raison d’être que les facs acceptent de payer un travail effectué.
    Autre bonne idée d’ubérisation : Pourquoi payer des enseignants chercheurs, alors qu’on peut payer des enseignants tout court, qui feront de la recherche de toute façon pour essayer de se sortir de la précarité. En payant juste pour l’enseignement, pour moins cher, le précaire donne deux fois le nombre d’heures d’enseignement. Et vu qu’il est précaire, il continuera à faire de la recherche sur son temps libre, soirées, week-end vacances dans l’espoir d’avoir mieux. Et après on dit que les facs n’ont pas d’idées ? C’est vrai que généralement, les facs ne diffusent pas trop à l’extérieur ces derniers types de poste, car elles en ont encore un peu honte. Mais en l’absence de poste, les crèves la faim, enfin les entrepreneurs de leur destin, acceptent bien ces postes.

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