Ce qui manque d’abord aux profs : du temps !

Ce qui manque d’abord aux profs : du temps !

Studio de production de Mooc à l'Essec © Essec

Au sein du K-Lab, les enseignants de l’Essec réalisent des Mooc, fortement épaulés par des ingénieurs pédagogiques © Essec

Comment inciter les enseignants à faire évoluer leur pédagogie et innover ? Face à des étudiants aux profils de plus en plus divers qui demandent une plus grande personnalisation de l’apprentissage, la question traverse nombre d’écoles et d’universités, alors que la pédagogie reste aujourd’hui très peu valorisée dans la carrière des enseignants-chercheurs et que leurs tâches administratives ont tendance à s’accroître.

Publié début avril 2017, le baromètre EducPros du moral des personnels de l’enseignement supérieur met l’accent sur le sentiment d’une course contre la montre : « “C’est 50 % d’enseignement, 50 % de recherche et 50 % d’administratif”, témoigne une enseignante-chercheuse de l’université de Montpellier, tandis qu’une autre, à Strasbourg, « pointe du doigt “le traitement superficiel de l’innovation pédagogique, à laquelle personne n’a le temps de réfléchir sereinement ni de se former”, ce qui devient “une cause de profonde frustration“. »

En particulier, utiliser des outils numériques dans ses cours se révèle largement chronophage. Comme le soulignent Samia Ghozlane, Aude Deville et Hervé Dumez dans un article récent de The Conversation, « pour l’enseignant, la digitalisation de ses cours apparaît comme une contrainte supplémentaire imposée par l’institution en plus d’une multiplication des tâches déjà lourde et une dévalorisation de son statut, les ingénieurs en informatique et en pédagogie devenant de plus en plus centraux ».

A l’Essec, des profs chouchoutés… par pragmatisme

Il est en outre intéressant de remarquer que si d’une manière générale, 76 % des répondants au baromètre EducPros estiment « ne pas avoir le temps de mener à bien les missions qui leur sont confiées », ce taux « atteint 80 % à l’université – contre 64 % en école de commerce ». Une différence liée bien sûr aux moyens financiers plus conséquents dont bénéficient les business schools, mais pas seulement : cela s’explique aussi par la prise de conscience de la nécessité de dégager du temps aux enseignants ou de davantage les épauler.

C’est la deuxième option qu’a retenu l’Essec pour faire tourner son K-Lab (knowledge center) : dans ces 900 m² consacrés à l’innovation pédagogique et à la recherche expérimentale, étudiants et enseignants peuvent venir créer des vidéos, utiliser des outils d’infographie et des logiciels de modélisation 3D, tester des hypothèses en sciences comportementales…

« 40 à 50 % des professeurs ont aujourd’hui utilisé le K-Lab, notamment pour produire des contenus et travailler sur la réingénierie de leurs cours », se satisfait Benjamin Six, directeur de l’innovation. En particulier, un studio d’enregistrement professionnel permet de produire des Mooc (Massive online open courses). Comme dans la plupart des établissements d’enseignement supérieur, les enseignants-chercheurs sont accompagnés pour cela d’ingénieurs pédagogiques. Mais à l’Essec, le rôle de ceux-ci est accru de manière à « limiter au maximum le temps que passe l’enseignant sur un projet : nous restreignons son investissement à ce qui fait vraiment sa valeur ajoutée », à commencer par sa connaissance pointue d’un sujet. Si cette stratégie engendre « probablement » des économies – les salaires des ingénieurs pédagogiques étant inférieurs à ceux des enseignants –, l’argument mis en avant, de manière très pragmatique, est que cela permet surtout de « faire aboutir des projets qui n’auraient pas pu voir le jour autrement ».

Ainsi, l’école a réalisé une série de Mooc sur la négociation commerciale, en ne mobilisant les experts qu’une trentaine d’heures réparties sur quatre mois, laissant le soin aux ingénieurs pédagogiques et « teaching assistants » de rédiger les quiz et le déroulé du cours à partir du contenu fourni par le professeur. Ce qui suppose évidemment d’avoir suffisamment de personnels disponibles pour autant assister les enseignants. Car si un Mooc est toujours le résultat d’un travail d’équipe (demandant un investissement total de 900 à 1.800 heures selon Matthieu Cisel, auteur d’une thèse sur le sujet), la part de l’enseignant est en général beaucoup plus importante.

« Tout le temps que les enseignants consacrent à la logistique est du temps qu’ils ne passent pas à changer leurs pratiques » (B. Six)

De la même manière, la grande salle du K-Lab est équipée de tables et chaises très légères qui peuvent être disposées en rangées traditionnelles, en U ou en îlots plus propices au travail en groupe. Ici, des appariteurs se chargent d’organiser la salle dans la configuration souhaitée avant le début du cours. Un luxe quand on pense aux enseignants-chercheurs des universités qui découvrent régulièrement en arrivant dans l’amphi que le vidéoprojecteur a été déplacé ou qu’il manque son câble… « Ce n’est pas aux enseignants de déplacer le mobilier, ni de demander aux étudiants de le faire : tout le temps qu’ils consacrent à la logistique est du temps qu’ils ne passent pas à changer leurs pratiques », explique Benjamin Six.

L’Essec n’est évidemment pas le seul établissement d’enseignement supérieur à tenter de trouver des solutions pour favoriser l’implication des enseignants dans la transformation numérique et pédagogique. Quelques universités se sont d’ores et déjà engagées dans cette voie. C’est le cas notamment de Perpignan, pionnière en la matière, qui a formalisé il y a près de trois ans la possibilité pour les enseignants-chercheurs qui souhaitent se consacrer à un projet pédagogique innovant d’être déchargés de cours pendant un semestre. Désormais, il est temps d’amplifier ce mouvement.

6 Responses

  1. Un enseignant says:

    On découvre l’eau tiède.

  2. Jean Pierre says:

    L’article commence par une question, fait une ellipse puis nous détaille le fonctionnement de l’ESSEC. Bref aucune réponse, aucune analyse.

  3. Pr S. Feye says:

    Voilà qui ne nous rendra pas le latin européen parlé, qui serait La solution à cette tour de Babel. Schola Nova

  4. Thierry says:

    J’ai passé ma vie dans le secteur privé, repris mes études en université 2 fois au cours de ma carrière professionnelle, changé 3 fois de métier.
    Je crois qu’en terme de milieu statique, rigide, les profs gagnent le pompon.
    Privilégiés, coupés du monde, ils devraient cessés de se plaindre.

  5. lejuste says:

    Il faut innover. Puisqu’on vous le dit

  6. Cedric says:

    Il fallait bien que quelqu’un se propose de caricaturer le métier de prof en reprenant des stéréotypes éculés: merci Thierry 🙂 Et bravo pour votre résilience et votre polyvalence. Un “flexi-travailleur” en somme !

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